Avant l’intrusion de l’État dans le domaine des
soins et de la santé, le médecin était fondamentalement un professionnel
indépendant au service du malade. Il était rétribué directement par son patient
ou par les proches de ce dernier. Son code de déontologie impliquait des
devoirs de diligence et d’équité qui touchaient également l’établissement de
ses honoraires. Il adaptait ces derniers aux possibilités du patient. Le
médecin se faisait un point d’honneur d’y renoncer lorsque son patient n’avait
pas les moyens de payer. En contrepartie il n’hésitait pas à demander des
honoraires plus élevés à ses clients nobles ou fortunés. Sur le plan
strictement économique, le montant des honoraires médicaux reflétait ainsi de
façon étroite les possibilités du marché. Ce régime assurait au bon médecin une
clientèle variée, un niveau de vie correct et la satisfaction d’exercer une
profession respectable. La fibre altruiste de la profession médicale et la
valorisation qui l’accompagnait constituait en outre un appel puissant aux
vocations médicales assurant ainsi la relève professionnelle d’une génération à
l’autre. A contrario la dévalorisation de la profession qui marque le débat
politique actuel décourage les vocations et ouvre le champ à une pénurie de
médecins.
Le mode de rétribution du médecin « libéral » dans
nos régimes de sécurité sociale répond à une logique dirigiste héritée du 19e
siècle. Il dépend de conventions tarifaires le plus souvent déconnectées des
mécanismes de marché. Les ressources allouées aux “prestataires de soins” sont
les premières touchées par les mesures de rationnement qui nivellent tôt ou
tard vers le bas tout système collectiviste. Les modèles Bismarckiens qui
dominent actuellement la topographie institutionnelle de la santé, accordent
une autonomie de façade au secteur libéral. La rétribution des actes médicaux
résulte le plus souvent de conventions tarifaires négociées par les
représentants du corps médical, des cartels d’assureurs et l’État. Les montants
attribués à une prestation particulière sont souvent décalés de son coût réel
pour le médecin (en temps, en matériel technique ou en frais généraux) ou de sa
valeur effective pour le malade (une expertise est souvent mieux rétribuée
qu’un acte chirurgical).
La possibilité de dépassement de l’honoraire de
base, offerte dans le secteur public français aux médecins conventionnés ne
compense que très partiellement la charge de travail et les lourdes
responsabilités inhérentes au service médical. Ceci aussi bien dans le domaine
hospitalier qu’en pratique générale. En France et à fonction professionnelle
équivalente les revenus nets des médecins sont inférieurs d’au moins 25% (pour
les médecins cadres) à plus de 50% (pour certains postes d’internat) à ceux en
vigueur en Suisse voisine. L’exode de médecins français vers la Suisse a
d’ailleurs déjà commencé et permettra à l’Helvétie de pallier une pénurie
latente de médecins formés.
La proposition socialiste de supprimer les
dépassements d’honoraires ajoutera une nouvelle catégorie au puissant
mouvement d'entrepreneurs et créateurs qui préfèrent l’envol vers des cieux
plus accueillants plutôt que d’être la cible de tirs aux pigeons orchestrés par
les chantres d’une idéologie confiscatoire dépassée. Paradoxalement le plafonnement des honoraires
proposé par les socialistes anti-libéraux, renforcera la médecine libérale en
France. On peut en effet s’attendre à ce qu’une majorité de médecins
hospitaliers et spécialistes universitaires choisissent d’abandonner le secteur
public pour rejoindre le secteur privé non conventionné. Libérés du joug de
conventions réductrices et de bureaucraties chronophages, les médecins
retrouveront la liberté perdue d’adapter leurs honoraires aux possibilités de
leur patient, devenu leur seul véritable patron. Les cliniques privées pourront
élargir la gamme et la qualité de leurs prestations. Le secteur public devra
quant à lui apprendre à fonctionner sans médecins dignes de ce nom.